Raphaël Liégeois, après Dirk Frimout et Frank De Winne, est devenu le 3e astronaute belge à avoir été sélectionné par l’ESA (European Space Agency). Trois noms qui montrent l’importance de la Belgique depuis des décennies en matière spatiale. Aujourd’hui, elle est le 5e contributeur global à l’ESA.
Cet engagement permet de pouvoir compter sur un tissu scientifique et industriel performant grâce aux retours sur investissements prévus dans le cadre « d’une bonne pratique » avec l’ESA. En effet, pour ceux qui l’ignorent, pour un euro investi dans les programmes de l’ESA par les autorités fédérales, les acteurs industriels et scientifiques enregistrent en général un euro de contrats directs en provenance de l’ESA, qui génère un effet levier. « Ce dernier est souvent estimé à 3 ou 4 euros de rendement direct de cet investissement d’un euro », comme l’a rappelé récemment le Secrétaire d’État fédéral pour la Relance et les Investissements stratégiques, chargé de la politique scientifique et notamment du budget fédéral consacré à l’ESA, Thomas Demine.
Dans ce contexte, la Wallonie, avec une présence de plus de 65 ans dans le secteur, est l’acteur historique du pays, comme le confirme Michel Stassart, directeur général adjoint de Skywin, le pôle de compétitivité wallon centré sur l’aéronautique et le spatial : « Le secteur exporte 90% de son chiffre d’affaires. Nous avons plus de 40 acteurs très bien notés partout dans le monde. Il représente environ 2.000 emplois directs et un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros. Si on divise la contribution de la Belgique par le nombre d’habitants, nous sommes le deuxième pays qui investit le plus ».
Projets majeurs et coordination
Pour permettre à ce secteur de s’exprimer pleinement, il existe le pôle Skywin qui regroupe entreprises, centres de recherche, universités et centres de formation. Le secteur spatial wallon a plus que triplé en termes de chiffre d’affaires et en nombre d’acteurs ces 20 dernières années. Jean-Pierre Chisogne, Senior Aerospace Specialist à l’Agence Wallonne à l’Exportation (AWEX), confirme cet ancrage : « Aujourd’hui, nous pouvons compter sur 4 pôles bien identifiés : les pôles historiques de Liège et Charleroi, auxquels s’ajoutent Louvain-la-Neuve et la province de Luxembourg (Galaxia, ESA, Redu...) ». La Commission européenne a d’ailleurs désigné le site de Galaxia pour installer la plateforme terrestre de maintenance de la constellation Galileo, système européen de navigation par satellite. Sans oublier le programme Space Safety, avec les projets HERA et Cosmic sur lesquels de nombreux acteurs wallons sont positionnés. Le site avait impressionné le nouveau directeur général de l’Agence Spatiale Européenne, Josef Aschbacher, lors de sa visite à Redu : « J’aimerais développer encore plus l’importance de ce site de l’ESA car la Belgique est un pays important dans le secteur de l’espace », avait-il souligné tout en rappelant que des investissements pour une somme de 30 millions d’euros vont être réalisés d’ici à 2025 et qu’ils concernent la cybersécurité spatiale.
Des entreprises de pointe
Dans le secteur spatial, les fleurons wallons sont des acteurs majeurs en Belgique et à l’étranger : Thales Alenia Space (équipements pour les stallites et les lanceurs) et Aerospacelab (LouvainLa-Neuve), qui construit actuellement la plus grosse usine de satellites en Europe à Charleroi. Mais aussi Safran Aero Boosters à Herstal. Il existe aussi Spacebel (software), Amos à Liège (solutions optiques) ou Deltatec à Ans (composants électroniques pour satellites), sans oublier Scan World (un des leaders wallons dans l’utilisation des données spatiales), Lambda-X (optique)...
Une vision à 360°
Dans le cadre de ses responsabilités, le pôle Skywin porte deux chantiers qui traversent les 7 segments à l’horizon 2025 : supporter la recherche industrielle et scientifique, et assurer la création d’une filière industrielle New Space en Wallonie via le développement de nouveaux outils et en créant le climat nécessaire pour attirer de nouveaux investisseurs.
La Wallonie possède donc cette autre particularité : ses activités couvrent les principaux segments du secteur spatial : « Les essais au sol, les lanceurs, les satellites et sondes, la gestion du vol des satellites, la réception des données, le traitement des données et le développement de services utilisant les données d’observation de la terre ou de géo-positionnement, la cybersécurité et l’exploration spatiale… sans oublier la formation pour les étudiants et les jeunes », ajoute Jean-Pierre Chisogne. Un atout unique que confirme Michel Stassart : « Nous travaillons en effet sur les segments en amont (réaliser et lancer des satellites et récupérer les données...) et en aval (fourniture de services ou de données liés à l’observation de la terre par les satellites…). Enfin, il ne faut pas oublier que le secteur spatial est utile aussi pour notre sécurité et la défense ».
A noter que la Wallonie ne travaille pas que pour l’Europe : « Nous avons des entreprises, des centres de recherche et des universités inscrites dans des projets avec la NASA (Solar Orbiter). Nous travaillons aussi pour d’autres agences spatiales (Inde, Japon...) ou le privé à travers le monde », ajoute Jean-Pierre Chisogne.
Une vision à long terme
Si aujourd’hui le secteur se porte bien face à la concurrence internationale, il faut garantir sa pérennité. Un institut wallon du spatial intitulé JRI4Space (Joint Research Institute for Space) va bientôt voir le jour. Il regroupera les représentants des universités de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des centres de recherche agréés (Cenaero, Sirris et Multitel), le pôle de compétitivité wallon de l’aérospatial (Skywin) et une série d’entreprises du secteur dans le but de maximiser l’adéquation entre « besoins industriels et offres scientifiques ».
Enfin, Win4Excellence, le programme d’excellence à destination des universités en collaboration avec les centres de recherche agréés, visant à financer des recherches ambitieuses et fortement positionnées en amont, a été lancé par le Gouvernement wallon, a récemment rappelé le ministre wallon Willy Borsus au Parlement. Afin de mieux accompagner encore les entreprises wallonnes dans leur mutation vers l’industrie 4.0 et le New Space, Skywin a par ailleurs intégré le programme Made Different de Digital Wallonia, qui soutient les innovations orientées processus de fabrication.
L'avenir passera par le new space (de la réutilisation des lanceurs aux micro-satellites d'observation de la Terre)
La Région peut aussi compter sur des acteurs qui s’investissent dans les futurs lanceurs (électronique embarquée, incluses les chaînes de sauvegarde, vannes électriques régulées cryogéniques, logiciels embarqués et simulateurs de vol, pièces structurelles des lanceurs...) et sur le marché des constellations de satellites. « Nous avons un travail de fond avec le gouvernement wallon au niveau des lanceurs réutilisables ‘à l’américaine’, sans oublier l’observation de la Terre avec la composante cybersécurité notamment. Aujourd’hui, il convient d’être conscient que l’on est dans un changement majeur d’utilisation dans le domaine spatial. Par exemple, certaines entreprises automobiles voudraient avoir une constellation de satellites (20-30 satellites) pour gérer leur flotte. Les demandes sont donc fortes et variées », précise Jean-Pierre Chisogne.
La formation indispensable
Pour que tous les acteurs de la chaîne se coordonnent bien, les entreprises ont besoin d’un personnel hautement formé, comme l’explique Michel Stassart : « Nous avons en Wallonie beaucoup de compétences académiques et d’initiatives qui permettent d’acquérir d’excellentes formations. Un ingénieur wallon ou belge dans le domaine est très bien côté. Après, évidemment, il faut pouvoir garder nos talents face à la concurrence ou aller chercher les meilleurs à l’étranger ».
L’attractivité du secteur pour les jeunes fait partie du processus : « L’Euro Space Center joue un rôle à ce niveau. Par ailleurs, il s’agit d’un secteur où l’on ne parle pas que des planètes ou des étoiles, mais aussi d’agriculture, d’occupation du sol, du monitoring des risques (inondations...), de complémentarité avec les drones, de gestion des forêts et de l’environnement... Les débouchés sont très nombreux. Les acteurs du spatial n’ont pas de frontière. Les industriels et les académiques travaillent ensemble ».
Une histoire d'excellence, des exemples concrets
Actuellement, sur le terrain, la nouvelle filiale du fleuron belge de l’aérospatial Sabca mène une mission d’envergure pour la stratégie du groupe : concevoir et fabriquer les systèmes d’actionnement du futur, afin qu’ils montent à bord du marché New Space. Ces derniers procurent des ailes aux fusées, comme l’a expliqué récemment Thibauld Jongen, CEO de la Sabca : « Notre rôle d’équipementier bascule vers celui de ‘structurateur’ responsable de la conception et de la fabrication d’ensemble, ce qu’aucun concurrent ne sait proposer à ses clients actuellement ».
De son côté, la société Amos, leader sur le marché des grands télescopes, a testé un système innovant et autonome « d’optique adaptative guidée par laser », baptisé SALTO, sur le site de l’ESA à Redu avec l’ULiège, le Centre Spatial de Liège et l’UCLouvain pour développer un système qui permet de corriger les effets de turbulence de l’atmosphère.
Enfin, il ne faut pas oublier que ces entreprises s’inscrivent aussi sur la durée comme Thales Alenia Space qui a célébré récemment ses 60 ans : « Nous allons bâtir l’avenir en faveur d’avancées technologiques significatives dans tous les pans de l’industrie satellitaire », avait déclaré Emmanuel Terrasse, Vice-Président Pays & Equipement de Thales Alenia Space, qui soulignait avoir la conviction que l’espace apporte une nouvelle dimension à l’humanité pour bâtir une vie meilleure et durable sur Terre.
De son côté, Spacebel s’est rapidement forgé une solide réputation grâce à ses solutions logicielles innovantes (logiciels de contrôle de vol embarqués pour satellites et véhicules spatiaux, systèmes au sol pour les centres de contrôle et de mission, systèmes d’accès aux données spatiales...). La société a participé au module Columbus de la Station Spatiale Internationale, aux satellites d’observation de la Terre SPOT, à l’observateur de la couche d’ozone Altius « Made in Belgium », au lanceur Vega, à la mission de défense planétaire Hera… À noter que depuis 2015, Spacebel est en charge du développement du logiciel d’application de l’unité de contrôle et de gestion des données d’Euclid, qui contrôlera le vaisseau spatial et tous ses sous-systèmes.
De son côté, l’ULiège a aussi été très impliquée dans la mission spatiale Juice qui étudiera Jupiter et ses lunes. Juice est une mission dirigée par l’ESA, avec des contributions de la Nasa, de la Jaxa (l’agence spatiale japonaise) et de l’Agence spatiale israélienne. Il s’agit surtout de la première mission de grande envergure du programme Cosmic Vision de l’ESA. En outre, le secteur wallon collabore aussi avec l’Inde, comme l’a montré l’inauguration de l’ILMT, un télescope à miroir liquide situé au sein de l’observatoire de Devasthal (Inde). La mise en place de ce télescope s’inscrit dans le cadre du Réseau belgo-indien pour l’Astronomie et l’Astrophysique (Bina).
Enfin, un acteur comme Cenaero, le Centre Spatial de Liège et d’autres centres de recherche contribuent à alimenter le secteur par la qualité de leurs programmes de recherche et d’innovations. Un exemple avec Michaël Gillon, qui est à l’origine de la découverte du système exoplanétaire Trappist-1.
Des liens existent avec Bruxelles
Sur le terrain et suivant les projets, des collaborations se nouent avec l’Observatoire royal de Belgique, l’Institut Royal Météorologique (IRM) et l’Institut royal d’Aéronomie spatiale de Belgique (IASB)... Sans oublier des entreprises comme Veoware à Bruxelles... ou encore Space Applications Services, à Woluwe-SaintÉtienne (robotique et impression 3D sur la Lune).
Un trinôme
Pour les soutenir dans le processus d’identification de sources de financement pour la R&I et de montage de projets, les entreprises wallonnes peuvent s’adresser au trinôme constitué du SPW EER (Département de la recherche et du développement technologique), du NCP-Wallonie et du Pôle de compétitivité Skywin.
Par Vincent Liévin
Cet article est issu de la Revue W+B n°162.