Le Liégeois, auteur-metteur en scène de 30 ans, a fait l'événement au Festival d'Avignon 2014, avec Notre peur de n'être.
L'effervescence du festival ne semble pas avoir de prise sur lui. Dans le jardin de la Manufacture, le jeune metteur en scène est ponctuel au rendez-vous. Un peu de fatigue, malgré tout, car les derniers jours ont été rudes. Le "In" d'Avignon, cela ne s'improvise pas. Jusqu'au dernier moment, il faut ajuster la scénographie, synchroniser les projections, revoir les textes mêmes, en phase avec les inquiétudes profondes de la profession. "Je suis travailleur, reconnaît-il dans un sourire, tout en douceur. C'est aussi un défaut, car je n'arrête pas, et je devrais. Parce que je parle de rapport au temps qui se perd. Or moi, je suis enfermé dans ma salle noire, comme certains des personnages que je mets en scène..."
L'attitude contraste avec le message: les mises en scène de Fabrice Murgia sont mues par la colère. Il s'agit de crier contre la perte de sensibilité, "dans un monde où les gens ont l'impression d'être libres, mais où ils sont très seuls, parce que dans une culture qui crée des écarts entre les individus. Il ne s'agit même pas de parler du monde libéral. Plutôt de dresser un état des lieux de la sensibilité."
Des professeurs éclairés
L'envie de jeu, d'écriture et de plateau théâtral est née sous l'impulsion de professeurs éclairés. L'idée d'en faire un métier, c'est au Conservatoire de Liège que cela se décide. "Devenir metteur en scène, c'est parce qu'on n'est pas assez à sa place, dans la narration, comme acteur. Il y a au départ une sorte de frustration. A priori, j'aime raconter des histoires..."
L'aîné des Murgia - son frère David a suivi son exemple en choisissant la voie du jeu d'acteur - reconnaît pleinement son appartenance à l'école liégeoise, sa filiation au professeur Delcuvellerie: "Il y a un lien de paternité très fort avec le Groupov, par exemple, même si nous faisons un théâtre très différent". Aucune étroitesse dans cette filiation-là. "Les différentes écoles sont faites pour se rencontrer."
Intéressé par l'anthropologie, le metteur en scène explique ses créations comme "une envie de témoigner du monde, de se rendre publiquement utile". Politique? "On ne peut parler que de théâtre politique, quoi qu'on fasse..."
Porteur de mémoire
Le travail de Fabrice Murgia est riche aussi de l'histoire familiale, celle de l'immigration. Un père italien, une mère espagnole: Notre peur de n'être est traversée par les récits des grands-parents, porteurs d'une mémoire et de beaucoup d'espoirs. Les "noeuds identitaires" au niveau familial, mais aussi national, nourrissent sont écriture. "C'est important de travailler dans le monde entier à partir de Bruxelles, explique-t-il. Considérer que les artistes sont des ambassadeurs, c'est important. Dans une démocratie, il faut une opposition. Obligatoirement. Nous posons des questions que nous mettons sur la place publique. Aller dans le monde pour chercher des questions et les renvoyer chez nous, c'est nous parler de notre futur."
Telle est bien la démarche du projet Children of Nowhere (Ghost Road 2), en construction dans le cadre de Mons 2015. "Il s'agit de partir dans le désert de l'Atacama, au Chili, pour s'interroger sur la destruction de la collectivité. Quand les êtres humains commencent à ne plus se reconnaître les uns les autres parce qu'ils appartiennent à des mondes différents, c'est quelque chose de très inquiétant..."
La dimension de la colère n'est manifestement pas près de quitter les créations de Fabrice Murgia. Même si le metteur en scène assume avec une apparente tranquillité une certaine forme d'assagissement: "Plus mon fils grandit, plus j'ai envie de terminer sur des notes d'optimisme."
Cet article est tiré de la Revue W+B 125, à laquelle vous pouvez vous abonner gratuitement.